Il faut le dire sans détour, l’Occident a définitivement perdu la bataille morale dans la géopolitique mondiale. Gaza l’a exposé au grand jour et Israël l’a précipité.
Le reste du monde a de plus en plus de mal à trouver de la cohérence dans les postures occidentales : on parle de droit, mais on soutient l’impunité ; on défend la paix, mais on alimente les guerres ; on proclame l’universel, mais on trie les morts.
Une impunité obscène
Ce qui se passe à Gaza aujourd’hui n’est pas une bavure. C’est une horreur méthodique, cyclique, documentée en temps réel. Des hôpitaux rasés, des camps de réfugiés bombardés, des enfants ensevelis sous les décombres. Et tout cela au nom d’un “droit à la défense” que personne d’autre ne pourrait revendiquer dans de telles conditions. Pas les Palestiniens, pas les Syriens, pas les Congolais, pas les Yéménites.
Ce droit-là est réservé à Israël. Sanctuarisé. Protégé. Intouchable.
Shoah et chantage mémoriel
L’Occident a fait de la Shoah un absolu moral. C’est compréhensible. Elle fut un crime monstrueux, au cœur même de l’Europe “civilisée”. Mais cette culpabilité, au lieu d’être assumée avec justice, a été convertie en licence morale pour un État devenu puissance coloniale. Ce qui devait servir à protéger l’humanité est devenu un outil d’impunité.
Le résultat ? Une mémoire instrumentalisée, un antisémitisme confondu avec toute critique d’Israël, et des peuples entiers réduits au silence.
À force de sacraliser les victimes d’hier, l’Occident trahit celles d’aujourd’hui.
Un monde qui ne suit plus
Le mythe d’une “communauté internationale” est en ruine. Les puissances de demain (Chine, Inde, Brésil, Afrique) n’ont aucune dette envers le peuple juif. Elles regardent la Shoah comme un drame européen, non comme une clef universelle de jugement. Pour elles, l’impunité d’Israël est une anomalie coloniale, pas une exception morale.
Ce décalage est irréversible. Le Sud global (hors Russie qui a toujours entretenue une position ambiguë sur cette question), n’accepte plus les sermons de ceux qui soutiennent l’indéfendable.
Et l’Occident, retranché dans ses doubles standards, s’obstine à parler d’universalisme tout en piétinant Gaza.
Iran / Israël : le scandale du deux poids, deux mesures
Rien n’illustre mieux ce naufrage moral que le traitement réservé à l’Iran. Qu’un régime autoritaire soit critiqué, soit. Mais justifier son agression au nom de la démocratie, tout en couvrant les crimes d’un Netanyahou agresseur, ultranationaliste, corrompu, génocidaire, c’est vomitif.
Le régime des mollahs, aux yeux de certains, apparaît même aujourd’hui plus lisible, plus cohérent, moins toxique que celui de Tel-Aviv.
C’est là le cœur du scandale : la boussole morale occidentale ne pointe plus vers la justice. Elle pointe vers ses alliances.
Le mensonge “judéo-chrétien”
Et pour couvrir ce cynisme, l’Occident s’invente des récits. Le plus hypocrite : celui d’une Europe “judéo-chrétienne”. Cette expression, qui aurait fait bondir un Européen du XVIIIe siècle, est une invention post-Shoah.
L’Europe n’a jamais été judaïsée ; elle a persécuté les Juifs pendant des siècles avant de les pleurer.
Elle ne vise pas à inclure les Juifs, mais à exclure les musulmans, en réécrivant l’histoire à des fins identitaires.
Or, cette fiction ne tient pas. L’islam et le judaïsme sont infiniment plus proches l’un de l’autre que ne l’est le christianisme occidental de l’un ou de l’autre. Même Dieu, dans la langue, dans la Loi, dans les gestes, est plus proche entre un imam et un rabbin qu’entre un prêtre et un mufti.
Le reste est une construction politique. Une muraille mentale. Une arme de défense culturelle.
Une forteresse assiégée
Et pourtant, malgré ses murs, son dôme, ses mythes, son armement, Israël reste ce qu’il est : un îlot de 10 millions d’habitants au milieu de 300 millions d’Arabes. On ne peut pas éternellement vivre contre le voisinage. Pas plus qu’on ne gouverne une région par les drones.
À long terme, la domination est une impasse. La paix est la seule issue.
Mais pour cela, encore faudrait-il que l’Occident cesse de fournir les clés de l’impunité.
Tôt ou tard, Israël sera ramené à son ancrage méditerranéen, absorbé dans la densité du voisinage arabe et musulman. Un jour ou l’autre , le cordon ombilical sera coupé avec l’Occident et c’est la marche de l’histoire.
Le dernier masque est tombé
Il ne reste plus rien du vernis moral occidental. Gaza a levé le dernier doute. Ce n’est pas l’humanité que l’Occident défend. C’est sa mémoire, ses alliés et ses morts triés.
Beaucoup l’ont compris. L’histoire a changé de cap.
À force de jouer avec le feu de l’impunité et du deux poids deux mesures, l’Occident est peut-être en train de se faire hara-kiri moralement, diplomatiquement et stratégiquement.
Le monde occidental a certes le mérite d’avoir diffusé la démocratie et l’État de droit. Mais à force d’assumer une culpabilisation toute chrétienne envers Israël, il a emprunté les yeux de Chimène envers un monstre qu’il a soutenu pendant soixante-dix ans, envers et contre tous. Le retour du boomerang sera particulièrement violent.
Et la prochaine boussole morale ne sera peut-être plus faite à Paris, Londres ou Washington.
Elle sera globale, plurielle, lucide ou peut-être dictée depuis Pékin ou New Delhi. Ou elle ne sera pas.
Mohamed HOUNA